Extrait d'un article de F. Bonnet sur Médiapart
(…) Le député vient souligner à sa façon un scandale très français : la persistance de liens et de sujétions entre la justice et le pouvoir exécutif. Une fois de plus sont pointés la dépendance du parquet envers le ministère de la justice et le gouvernement, comme ses extravagants pouvoirs d'enquête. (…)
« La justice est indépendante », ont répété mardi le premier ministre Édouard Philippe et la ministre de la justice Nicole Belloubet. Non, quand elle est administrée par un procureur. De plus, ce dernier dispose dans le cadre de l'enquête préliminaire de pouvoirs discrétionnaires et exorbitants. (…)
Magistrat indépendant, le juge d'instruction travaille dans un cadre strictement balisé et ses pouvoirs ont été régulièrement rognés ou équilibrés depuis quinze ans (collégialité, recours devant la chambre de l'instruction). Rien de tel pour un procureur qui n'a de compte à rendre à personne sur la conduite d'une enquête préliminaire où les droits de la défense sont réduits à néant. Entendues comme témoins, les personnes ne peuvent pas être assistées d'un avocat. Ces mêmes avocats n'ont pas accès aux dossiers. Ils ne peuvent demander d'acte supplémentaire et pas plus formuler de recours. Enfin, le droit à l'information est anéanti et le pouvoir exécutif peut même se livrer à toutes les manipulations possibles en faisant fuiter quelques éléments choisis (ce fut le cas sous la présidence Sarkozy lors de l'affaire Bettencourt). (…)
Emmanuel Macron assume pleinement cette tutelle sur l'appareil judiciaire. A deux reprises cette année, le président de la République a écarté toute possibilité d'une indépendance du parquet, indépendance demandée pourtant par les deux plus hauts magistrats de France. En janvier 2018 d'abord puis début octobre, à l'occasion de son discours sur les soixante ans de la Ve République, le chef de l'État a revendiqué ce qu'il décrit comme « une parfaite articulation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs publics ». (…)
Après les discours, les travaux pratiques. Là encore, ce pouvoir a montré jusqu'à la caricature son souci de maîtriser de bout en bout la nomination des procureurs. Ce fut le cas en septembre pour le remplacement de François Molins, actuel procureur de Paris promu au poste de procureur général de la Cour de cassation. Le choix de son successeur à ce poste stratégique a rappelé les belles heures de la présidence Sarkozy (lire ici l'article de Michel Deléan) quand on apprit que l'Élysée avait recalé le candidat choisi par la ministre de la justice.
Pire et jamais vu, le premier ministre Édouard Philippe avait organisé courant juillet à Matignon des « examens de passage » avec certains candidats.
Et pour achever cette reprise en mains, un nouvel appel à candidatures fut lancé permettant finalement de nommer Rémy Heitz, actuel directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice, un poste éminemment politique. Le CSM a, ce mardi, rendu un avis favorable à cette nomination voulue par l'Élysée, au prix de la marginalisation de sa ministre de la justice… L'interventionnisme de l'Élysée dans cette affaire avait alors été dénoncé par les deux principaux syndicats de magistrats (SM et USM).(...)
L'inévitable politisation du parquet et la tutelle de l'exécutif donnent ainsi des arguments à La France insoumise. Car même si le procureur décidait de s'affranchir de cette tutelle, les procédures demeurent. Et la plus importante d'entre elles, les remontées d'informations au cabinet du ministère de la justice (donc au gouvernement), systématiques pour tout dossier sensible. On avait pu constater, lors de l'affaire Bettencourt, que des procès-verbaux d'interrogatoire atterrissaient aussitôt rédigés sur le bureau de Claude Guéant (alors ministre de l'intérieur) qui pouvait choisir de faire fuiter des éléments qui arrangeaient alors le pouvoir. (…)
L'absence de réforme du statut du parquet est ainsi une mèche lente qui décrédibilise toute l'institution judiciaire. Le Syndicat de la magistrature l'a d'ailleurs rappelé hier, demandant à nouveau que soit coupé tout lien entre exécutif et parquet. « Il faut répondre à Jean-Luc Mélenchon en disant que la classe politique n’est pas hors du jeu démocratique. On ne peut pas accepter que la classe politique crie systématiquement au complot politique, au cabinet noir lorsqu’elle est visée par une enquête, estime sa secrétaire générale Laurence Blisson, sur France Info. Mais il faut aussi répondre au gouvernement qui dit “indépendance de la justice” et qui par ailleurs refuse de faire une véritable réforme constitutionnelle, qui permettrait de couper le lien entre le ministère de la justice et les parquets, en prévoyant des modes de nomination des procureurs qui seraient absolument indépendants. »
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Dans deux arrêts rendus en 2008 et 2010, la Cour européenne des droits de l'homme a estimé que le parquet dans son statut actuel ne pouvait être considéré comme « une autorité judiciaire » puisqu'il n'est pas indépendant du pouvoir exécutif.
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