Jean-Luc Mélenchon est le leader du Front de gauche en France qui regroupe 9 partis politiques de la gauche radicale. Lors de l’élection présidentielle française de 2012, il termine quatrième derrière Hollande, Sarkozy et sa première rivale politique Marine Le Pen, en totalisant 11,10% des voix. Né à Tanger en 1951, de parents originaires d’Oran et de Staouéli, ce philosophe de formation fait entendre la voix de la gauche radicale dans ses combats contre l’austérité en Europe. Au plan politique, sa philosophie est de privilégier les relations bilatérales franco-maghrébines. Ce qu’il nous explique dans ce long entretien, à la veille de la tournée maghrébine qu’il va entamer en Tunisie aujourd’hui, le 11 février, et qui le conduira au Maroc le 15 février. Demain, il sera à Alger pour animer une conférence à l’Institut français. Avec une grande diplomatie et son franc-parler habituel, il défend ses positions politiques et appelle la gauche radicale algérienne et maghrébine à s’unifier autour d’un idéal commun.
- Le peuple algérien, notamment sa communauté établie en France, a découvert et admiré vos positions politiques lors de la présidentielle 2012. Plus de six mois après, quels enseignements tirez-vous de cette élection ?
La campagne présidentielle du Front de gauche a fait émerger une nouvelle grande force politique en France, éduquée, autonome, disciplinée et conquérante. Pour la première fois depuis 30 ans, en rassemblant 4 millions de voix, une deuxième force politique de gauche a réalisé un score à deux chiffres. Au-delà de ce résultat électoral, notre campagne a lancé un processus d’implication populaire qui se prolonge et s’élargit aujourd’hui dans la résistance aux politiques d’austérité. Nous incarnons une alternative concrète aux politiques libérales qui détruisent le pays et appauvrissent le peuple. Cette alternative s’appuie sur une nouvelle synthèse politique que nous nommons éco-socialisme. Et sur la méthode de la révolution citoyenne qui veut que le peuple reprenne le pouvoir pour imposer l’intérêt général partout où règnent aujourd’hui les intérêts marchands et financiers. Notre programme sera au pouvoir en France avant dix ans.
- Vous avez déclaré que vous vous sentiez, humainement et socialement, plus proche des Maghrébins que de certains Européens. Et que l’Algérie serait le premier pays où vous vous rendriez en tant que président de la République française. Pouvez-vous nous expliquer le fondement intellectuel de ce positionnement en faveur de relations et de partenariat exceptionnels entre la France et l’Algérie ?
Je veux donner un signal humain fort qui percute les routines. Nous constituons par bien des aspects une seule famille humaine, sociale et culturelle des deux côtés de la Méditerranée. Aucun autre pays européen n’est humainement aussi lié que la France aux peuples du Maghreb. Combien d’enfants, de parentèles en commun ? Des dizaines de milliers ! On ne peut en dire autant ni des Lettons ni des Croates pourtant membres de l’Union européenne ! De plus, nos sociétés sont confrontées à de nombreux défis communs, comme l’appauvrissement des travailleurs lié aux politiques libérales ou la précarité rencontrée par une jeunesse de plus en plus éduquée. En partageant la mer Méditerranée, nous affrontons aussi les mêmes défis écologiques vitaux pour nos peuples puisque plus de la moitié des habitants de nos pays vivent au bord de la mer. Les solutions éco-socialistes que je défends offrent des perspectives de politiques communes pour résoudre des problèmes aussi concrets que le développement des énergies de la mer ou la lutte contre les pollutions qui menacent la biodiversité sur laquelle repose notre écosystème commun. Il n’y a pas d’avenir utile sans que nos peuples s’imbriquent davantage.
- Comptez-vous faire de votre visite en Algérie une occasion pour expliquer votre vision des relations bilatérales franco-algériennes ?
Je me rends en Algérie, ce 12 février, pour proposer au débat de la gauche, avec l’éco-socialisme, un nouveau chemin partagé de progrès humain entre nos peuples. Nous avons d’immenses chantiers à traiter en commun, en pleine égalité, en s’appuyant sur la souveraineté et l’énergie de nos peuples.
- Lors de sa visite en Algérie, François Hollande a complètement ignoré le combat quotidien de l’opposition démocratique en Algérie, des syndicats autonomes et des défenseurs des droits de l’homme. Que pensez-vous de cette attitude ?
C’est très curieux, car la tradition veut que le chef de l’Etat français, en déplacement à l’étranger, rencontre naturellement les représentants du pouvoir légitime en place, mais aussi ceux de l’opposition. Je pense que c’est une mauvaise appréciation, faite par le président de la République. Et, franchement, je ne pense pas que les autorités algériennes lui ont demandé ça. Pourquoi l’auraient-elles fait ?
- En ce qui vous concerne, allez-vous donc rencontrer tous ces acteurs de la lutte démocratique en Algérie ?
Ma visite est très limitée par le temps. Ce sera dans le cadre d’une seule conférence organisée à l’Institut français d’Alger. Mon objectif est de partager mes réflexions politiques et de sensibiliser la jeunesse maghrébine aux nouveaux enjeux de ce que j’appelle l’éco-socialisme. Je n’ai pas l’intention de m’impliquer dans les questions politiques des pays qui me reçoivent. D’abord ce n’est pas mon rôle. Puis, je ne veux pas paraître arrogant ou imbu de paternalisme politique. Je viens pour faire état de ma pensée politique laquelle, je sais, est estimée et peut contribuer aux débats de la gauche maghrébine.
- En parlant plutôt de la gauche algérienne, la jeunesse militante de plusieurs partis politiques, comme le FFS, le PST, le PT et le RCD, se retrouve dans l’esprit de revendications communes de la gauche radicale et démocratique. En revanche, ces formations préfèrent faire cavalier seul. Avec votre expérience au sein du Front de gauche, que pensez-vous de cette division qui perdure dans les rangs de la gauche radicale algérienne ?
Je ne suis pas en mesure de donner des leçons. Je fais confiance à l’intelligence de l’élite politique de la gauche algérienne. Ce que je peux recommander modestement à tous nos camarades algériens, sans exception, c’est de mesurer l’importance et l’intérêt qu’il y a, à savoir se regrouper. Non seulement du point de vue de l’efficacité électorale mais pour déclencher des dynamiques refondatrices pour chaque partenaire. Regardez, c’est comme ça que nous, fronts de gauche radicale, sommes devenus, en tout cas dans les enquêtes d’opinion, la première force politique en Grèce. C’est comme ça qu’en France, nous sommes ressortis des catacombes. C’est comme ça que nos camarades en Espagne ont franchi la barre des 10% des voix et actuellement dans les enquêtes sont entre 14 et 16%. En Tunisie, la constitution du Front Populaire a créé une alarme chez les adversaires de la gauche tunisienne. Ce front représente dorénavant une alternative crédible à la disposition du peuple tunisien.
Mais en Algérie, chacun de ces partis campe sur ses positions et refuse d’aller vers les autres… La suite sur El Wantan