Contribution de Jean-Luc Mélenchon et des députés du groupe de la France Insoumise
Le groupe de la France insoumise ne soutient pas la proposition de résolution concernant la coopération parlementaire franco-allemande présentée par M. Richard Ferrand. Il réaffirme son opposition tant à l’accord parlementaire franco-allemand conclu le 8 octobre 2018 qu’au Traité entre la République française et la République fédérale d’Allemagne sur la coopération et l’intégration franco-allemandes présenté le 22 janvier 2019. Nous déplorons que le parlement français n’ait été saisi à aucun moment du projet de Traité.
Même si la signature des traités internationaux revient constitutionnellement au Président de la République, la circonstance exceptionnelle que revendique ce traité aurait justifié qu’elle ne soit pas le seul fait du prince. Il aurait été sain et productif que le peuple y soit associé par le biais de ses représentants La signature de ces deux textes se fait dans le cadre d’une politique européenne que nous récusons. Celle-ci est centrée sur la relation bilatérale nommée en France « couple franco-allemand ». C’est depuis 3 mandats la voie choisie par les gouvernements français. Elle conduit à enfermer l’Union européenne dans des choix qui ne sont pas conformes à l’intérêt de notre pays.
Les gouvernements allemands poursuivent en effet en matière économique la doctrine de l’ordolibéralisme. Celle-ci plaide pour la baisse des salaires, l’absence d’investissements publics et une politique monétaire conservatrice. A travers les Traités européens et l’influence qu’ils exercent dans les institutions européennes, ils imposent cette politique à tous les États européens. Nous pensons que la France devrait, à l’inverse, mener une politique ambitieuse de relance écologique et d’investissements dans les services publics. À ce titre, la coopération en vue de l’élaboration de positions communes au niveau européen nous paraitrait plus ambitieuse avec des États qui partagent avec nous ces intérêts. C’est notamment le cas des États du sud de l’Union européenne.
En toute hypothèse, nous récusons absolument le condominium de deux pays, fût-ce le nôtre, sur tous les autres.La souveraineté du peuple est gravement mise en cause dans la relation franco-allemande actuelle comme le prouve la préparation de ce texte. Le traité signé à Aix-la-Chapelle institue que dans la pratique, un ministre du gouvernement allemand assiste au Conseil des ministres au moins une fois par trimestre. Il créé aussi un « conseil économique et financier franco-allemand » dont l’objectif est de « coordonner de façon régulière les politiques économiques de nos deux pays » et « d’améliorer la compétitivité de leurs économies ». Ces tâches sont déjà celles de la Commission.
Elles n’en excluent pas moins le peuple de ses délibérations. Dans le même esprit, l’accord parlementaire visé par la proposition de résolution crée une Assemblée parlementaire franco-allemande composée de cinquante membres de l’Assemblée nationale française et cinquante membres du Bundestag allemand. Son rôle est notamment de « formuler des propositions en vue de tendre vers une convergence des droits français et allemand ». Il instaure également une « assemblée commune » qui devrait se réunir tous les 4 ans.
Toutes ces institutions méconnaissent le principe de souveraineté populaire au fondement de la légitimité de nos institutions. Les parlementaires français ainsi que l’exécutif ont reçu mandat du peuple français pour faire le droit et le faire respecter en France. L’idée confuse selon laquelle des députés allemands pourraient se mêler de la loi en France ou des députés français s’occuper du droit allemand, nous ne pouvons que la refuser.Tant l’accord parlementaire que le Traité plaident pour une unification législative dans les régions frontalières françaises et allemandes. Ils remettent ainsi en cause le principe d’unité de la loi et de l’égalité de tous les citoyens devant celle-ci, à la base de l’ordre républicain français. Ils prévoient explicitement que des dérogations pourront être établies dans les collectivités concernées afin de réaliser cette unification. Ces dérogations à la loi votée par les représentants élus pourront être accordées dans un grand nombre de domaines.
Le Traité sur la coopération et l’intégration franco-allemandes cite notamment « les domaines économique, social, environnemental, sanitaire, énergétique et des transports ». Nous nous opposons à cette logique de différenciation des collectivités françaises entre elles et de démantèlement de la loi commune. L’aboutissement d’une telle démarche ne peut être que la mise en compétition des territoires entre eux et la course vers le moins-disant social et écologique. Nous soulignons son absurdité concrète : que deviendront les régions désormais frontalières de telles régions transfrontalières ?Globalement, les textes que le Président de l’Assemblée nationale nous propose de soutenir par sa proposition de résolution nous font courir le risque d’une harmonisation par le bas entre la France et l’Allemagne. En effet, les objectifs de progrès social et de convergence par le haut des droits sociaux ne sont pas mentionnés. En revanche, la « compétitivité » est bel et bien citée comme objectif à « l’harmonisation bilatérale des législations, notamment dans le domaine du droit des affaires ». Il va ainsi dans le même sens que les évolutions récentes de l’Union européenne en matière d’objectifs sociaux. Le Conseil européen a effet adopté le 27 novembre 2017 un socle européen des droits sociaux qui ignore désormais le « rapprochement dans le progrès des durées de travail, des congés payés annuels, et des protections concernant la santé des travailleurs » pourtant présent dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, adoptée en 1989.
Le nouveau socle reconnait par contre pour les employeurs un droit à la « flexibilité nécessaire ».
Dans les vingt dernières années, l’Allemagne a adopté des législations particulièrement régressives en matière de droits à la retraite, d’assurance-chômage et de droit du travail. Le résultat est une catastrophe sociale. Le taux de pauvreté a augmenté de 15 % depuis 2006 et un retraité sur dix vit en dessous du seuil de pauvreté. Près de 5 millions de personnes sont employés dans un « mini-job », un emploi à temps partiel payé 450 euros par mois, sans cotisations sociales. Nous ne souhaitons pas pour notre pays qu’il s’engage sur ce chemin davantage qu’il ne l’a déjà fait. Nous voulons au contraire une autre direction faite de progrès humain, écologique et social.
Enfin, les textes contiennent des décisions de politique étrangère et de défense que nous ne pouvons accepter. Il exalte « l’Europe de la défense » dans le cadre explicitement mentionné de l’Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN). Cette Europe de la défense ne dit ni de qui ni comment elle compte se défendre. L’appartenance à cette alliance sous domination des États-Unis et notre intégration toujours plus importante en son sein risquent d’entrainer notre pays dans des conflits dangereux. Ainsi, nombre de ses membres, au premier rang desquels les États-Unis eux-mêmes, ont une attitude hostile et belliqueuse envers la Russie. La guerre contrela Russie n’est pas dans l’intérêt de la France, elle est dangereuse pour le continent européen. Cette Europe de la défense, c’est l’Europe de la guerre. C’est aussi l’Europe de la honte.
En effet l’appartenance à l’OTAN nous conduit aussi à compter parmi nos alliés la dictature islamiste de Erdogan en Turquie. Celle-ci menace ceux que nous considérons comme nos premiers alliés en Syrie, les Kurdes. La France, pour mener une politique utile à la paix, doit être indépendante sur le plan de sa politique étrangère. Notre opinion est conforme en la matière à une longue tradition diplomatique française. Le général de Gaulle avait lui refusé que fût fait mention de l’OTAN dans le traité d’amitié franco-allemand, dit Traité de l’Élysée, de 1963. Le Traité d’Aix-la-Chapelle plaide en outre pour que la France appuie l’intégration de l’Allemagne en tant que membre permanent du conseil de sécurité des Nations Unies. Nous considérons que telle n’est pas la priorité pour conforter la légitimité de l’ordre international. Il parait plus logique de réfléchir à intégrer l’Inde, deuxième population de la planète, ou un représentant de l’Afrique ou de l’Amérique latine, deux continents qui n’y sont aujourd’hui pas représentés. Le Traité sur la coopération et l’intégration et l’accord parlementaire franco-allemand s’inscrivent sans imagination dans la construction européenne actuelle en dépit de son échec.
Le groupe parlementaire de la France insoumise veut la sortie de Traités européens construits d’abords sur les principes de compétition, de concurrence plutôt que sur ceux d’égalité et de coopération avec les peuples à laquelle nous aspirons. Si la France et l’Allemagne doivent s’accorder, alors que ce soit pour impulser une coopération générale plutôt que de s’enfermer dans un tête-à-tête étouffant et arrogant.