Il y a, actuellement, un côté sinistre dans l’usage des mots. Par exemple « la crise » : c’est généralement associé à « crise financière », mais les autres crises, politique, morale, sociale, sont généralement occultées par la première, par le souci des décideurs de maintenir leur quota d’esclaves à « puiser dans le vivier du bassin d’emploi », par le souci qu’ils portent aux dividendes qu’ils vont redistribuer à leurs actionnaires, ou se distribuer, par leur impatience à mettre les États et les organismes publics en général, à leur service ; pour ça, ils ont institutionnalisé « la dette publique », autre formule magique, le français vivant et les autres européens aussi, c’est bien connu, au-dessus de ses moyens.
Mais comme à chaque fois on nous sort « le modèle », cette fois-ci il est allemand, mais il fût « suédois », « américain » etc. Sans modèle ils n’existent pas, et surtout leurs discours deviennent vides. Le sort des nouveaux esclaves générés par ces nouveaux maîtres de forges ne fera que quelques lignes ou commentaires désabusés du type :« La société X délocalise ou ferme, Y personnes se retrouvent sans emploi ».
Contrairement, la « crise financière », tous les experts ou pseudo-experts qui officient dans les journaux ou magazine télé s’en délectent pour un budget qui permettrait sans doute d’augmenter quelques salaires de précaires de l’audiovisuel. Juste pour rappeler quelques exemples de la compétence des experts : ils n’ont pas vu venir la débâcle de Lehman Brothers, ils n’ont pas vu venir la crise, que n’importe quel béotien pouvait déduire de la politique définie pour la Banque Centrale Européenne dans les traités, en lisant simplement un bon livre d’histoire sur la période des années 30 et les décrets-lois Laval : d’abord une monnaie forte, conséquence, déclin des exportations et délocalisations, ensuite la déflation, assèchement de la monnaie en circulation et donc baisse de revenu des acheteurs potentiels.
Ils ont aussi largement conseillé d’acheter des actions de la bulle internet (avant l’explosion de la bulle) alors que là aussi, expliquer qu’une entreprise qui n’a pas de locaux et juste un peu de potentiel intellectuel peut faire des profits de plus de 100% en n’ayant rien à vendre, il faut oser, le dernier avatar des experts étant l’action facebook où on retrouve dans le montage nos « vieux amis » de Goldman Sachs (voir ci-dessous l’affaire italienne).
Et maintenant, ils éructent sur la crise financière en vilipendant ces fainéants qui veulent gagner de l’argent sans travailler, alors que les patrons voudraient les faire travailler sans les payer, ou peu. Donc, il faut faire peur, entre les
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syndromes du 11 septembre, (la lutte indispensable contre le terrorisme qui permet de prendre des mesures liberticides),
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du 21 avril (qui permet de continuer dans un monde électoralement bipolaire, mais entre amis) et
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du chômage (qui permet de payer les ouvriers et cadres, heureux de trouver, de garder un travail, avec un lance-pierre), seuls les psys vont avoir du travail, mais il faut avant tout faire accepter par une opinion publique rétive les plans de rigueur existants ou à venir qui « vont nous permettre de surmonter la crise ».
Crise financière, pas si sûr. Le fait que les banques ne prêtent plus aux particuliers ni aux entreprises (sauf aux grands amis, mais pas aux PME/PMI), n’est pas signe d’une crise financière. Les banques et leurs actionnaires majoritaires ont vu qu’il était beaucoup plus juteux d’emprunter de l’argent à 1% à la Banque Centrale Européenne (argent du contribuable) pour le prêter aux États à des taux usuraires (4/7% si tout va bien et beaucoup plus si on veut étrangler un réfractaire).
Elles savent que de toutes façons ces prêts seront remboursés par un des fonds européens, donc encore avec de l’argent des contribuables, ce faisant on accroit considérablement la fameuse dette. Mais la Banque n’a pris aucun risque dans l’opération puisqu’elle se fait rembourser par ceux qui lui ont prêté pour prêter.
Le seul dindon dans l’histoire est le contribuable qui va payer la différence entre ce qu’il a versé de ses impôts à la BCE et les intérêts de la dette qu’il va devoir rembourser. Et la banque peut même s’assurer sur une éventuelle possibilité de faillite d’un de ses créanciers.
Autrement dit, si vous prenez une assurance sur la maison de votre voisin, vous avez plutôt intérêt à ce qu’elle brûle pour gagner le maximum : les banques s’assurent sur une éventuelle faillite d’un État, les fameux CDS (credit default swap) et donc tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, sauf si un politique suffisamment solide décidait d’arrêter de jouer.
Juste un exemple, en juin, la banque Goldman Sachs, pas de la faute de l’auteur de ces lignes si on la retrouve partout, dont
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Mario Draghi l’actuel Président de la BCE avait été l’un des principaux membres pour l’Europe et qui a aidé à maquiller les comptes grecs, dont
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Mario Monti l’actuel Premier ministre italien a été un des consultants, a décidé de ramener ses avoirs de dette italienne de 2,5 milliards de dollars en mars à 191 millions en juin, puis dans leur communication à la SEC (le contrôle boursier US), ils ont annoncé qu’ils avaient investis sur des produits dérivés garantissant un éventuel défaut (faillite) de l’Italie. Même pas la reconnaissance du ventre, ces requins. Ce que ne dit pas l’article de La Republica qui a mis l’affaire sur le devant de la scène, c’est qui a racheté les fonds : et si c’était la BCE ? Ça devrait quand même intéresser les services de la Commission et la Cour de Justice, non ?
Pour continuer à faire peur, on invente des termes comme « recapitaliser les banques » en vous laissant entendre que si une banque fait faillite, vos économies vont s’évaporer. On demande donc de nouveau aux contribuables de mettre la main à la poche, mais, de façon surprenante, lorsqu’on parle de faire un contrôle des dites banques elles s’empressent de rembourser.
Donc à chaque fois qu’elles demandent de l’argent il faudrait qu’en échange, l’Etat nationalise, au moins partiellement, ne serait-ce que pour savoir à quoi sert l’argent en question : dans un de ces paradis fiscaux qui parait-il n’existent plus mais qui sont si bien protégés par le traité de Lisbonne ? Par François Lucas / la suite sur Gauche Cactus