C'est formidable, le hasard. Quelques jours après le début de la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima, une brochette de personnalités a priori très différentes les unes des autres ont toutes prononcé la même petite phrase : « Si les Japonais avaient eu un réacteur EPR français, ça ne serait jamais arrivé !» Un argument massue invérifiable, contestable, mais efficace. Parmi ces porte-parole, il y eut dans le rôle de l'expert Thomas Oudré, haut responsable de l'Agence de Sûreté nucléaire, côté élus, les députés Philippe Daubresse (UMP) ou Christian Bataille (PS), mais aussi Henri Guaino, conseiller de Sarkozy, le multicarte Claude Allegre, et même l'éditorialiste Eric Zemmour dont on ignorait jusque-là les compétences en physique nucléaire.
Précisons tout de même que cet EPR 100% antichoc et antifuite n'existe en vrai nulle part au monde et est toujours en chantier en Finlande où il accuse quatre ans de retard sur l'agenda initial pour des problèmes de sécurité : il aura fallu ajouter 25% de ferraillage dans le béton de l'enceinte à la demande des Finlandais. Mais peu importe : pour les supporters de l'EPR, il s'agit d'une grande cause nationale. Il faut donc marteler l'argument de l'excellence atomique française. Mobiliser les hussards de l'atome un peu désorientés, les amis hésitants, les obligés récalcitrants et donc organiser les relais d'opinion. Question : qui est à l'origine de la version originale de la petite phrase sur l'EPR reprise en chœur ? Le 16 mars, Anne Lauvergeon, la patronne d'Areva, en donne une version impeccable devant les députés : « S'il y avait eu des EPR à Fukushima, il n'y aurait pas de fuites possibles dans l'environnement, quelle que que soit la situation. » (...)
Depuis un demi-siècle, les intérêts économiques et stratégiques du nucléaire civil sont si vertigineux qu'ils se confondent avec l'intérêt supérieur de l’État. Cela peut se concevoir... A condition toutefois que la puissance publique inspire confiance et puisse rassurer l'opinion quand survient un pépin ou un accident dans une centrale. Or, depuis des lustres, le grand bond de l'énergie nucléaire repose sur des non-dits, des silences, des secrets. Il aura fallu Tchernobyl et la fable du nuage radioactif bloqué aux frontières du Rhin pour que l'imposture soit révélée : «La crédibilité des organismes officiels liés au nucléaire demeure aujourd'hui faible, voire très faible », note Frédérick Lemarchand, sociologue du risque à l'université de Caen. Le cataclysme en cours à Fukushima n'arrange rien... Alors le lobby, qui sent bien que le pacte avec les Français se dégrade, se réfugie dans la communication. Exemple très récent : dès le début de la crise, surgissait sur toutes les chaînes de télévision un « expert » jusque-là inconnu et réputé indépendant.
Son nom : Francis Sorin. Présenté comme « directeur du pôle information de la Société française d’Énergie nucléaire », il affiche une neutralité de bon aloi. Sauf que sa « société savante » n'est, à y regarder de plus près, rien d'autre qu'une filiale associative de la filière nucléaire, qui relaie donc très fidèlement sa doctrine. (...)